Valoriser ou détruire les bunkers de la guerre?

Certains subissent de drôles de mises à jour — graffitis, fresques — d’autres font passer un frisson d’histoire aux touristes en visite, mais, dans l’immense majorité, les centaines de bunkers de la Seconde Guerre mondiale sur le littoral aquitain sont un dilemme de béton — qu’en faire’ – que l’océan «règle» peu à peu.

Des plages du Médoc à l’Espagne, ces forteresses désarmées ont passé des décennies livrées à elles-mêmes: tantôt squat, décharge sauvage, aire de flirt ou pour enfants «jouant à la guerre». Parfois avec un brin d’inconscience, étant donné les munitions enfouies, voire affleurant: mi-juillet à Messanges, des démineurs ont encore détruit une caisse d’obus dans un blockhaus.

Car dans l’ensemble, le littoral aquitain n’a su que faire de ces ouvrages (700 environ sur les 12 000 érigés par l’Allemage nazie sur le Mur de l’Atlantique, de la Norvège à la Côte basque), longtemps considérés au mieux comme une pollution visuelle, au pire comme un danger de sécurité pour baigneurs et promeneurs.

Le temps des «bunker-archéologues»

Et puis des gens avaient souffert, des entreprises françaises s’étaient enrichies, des bras avaient été réquisitionnés. «Ces blockhaus, nul ne voulait plus les voir, il fallait les occulter», analyse Jean-Paul Lescorce, septuagénaire de Soulac-sur-Mer, piqué de «bunker-archéologie», en croisade depuis 15 ans pour réhabiliter l’imposante Batterie des Arros, 20 bunkers bâtis en 1942-44 pour verrouiller l’embouchure de la Gironde.

Ce «bunkerologue» est guide touristique l’été, scolaire dans l’année, dans la fraîcheur obscure de structures qu’il désensabla parfois lui-même, avec pelle et seaux. Torche en main, il y décrypte des vestiges de vie, d’ingénierie: ici près des couchettes à l’armature intacte, des isolants thermiques et acoustiques en fibrolite (paille + ciment), là un enduit hydrofuge, un système de ventilation ou de la peinture fluorescente (phosphore + radium) pour se repérer en cas de black-out ou de panne.

Pour Jean-Paul Lescorce, qui a lancé des visites en allemand et en anglais, même de nuit. «C’est un double devoir de mémoire: envers mon père, réquisitionné comme 2 à 3000 Médocains pour construire ces bunkers, et envers les hommes tombés pour les libérer» en avril 1945, une des dernières — et meurtrière — poches de résistance nazie.

Ces dernières années, plusieurs associations locales ont émergé, à Soulac et à Arcachon, qui voient le patrimoine dans les blockhaus, même si tous n’eurent pas le destin, ou la notoriété, de la Batterie de Longues-sur-Mer, un rare bunker classé, ou de la Batterie Todt à Calais.

«Sur le terrain, on sent un intérêt historique du public, une vraie curiosité, des questionnements, avec une génération qui n’a pas connu l’Occupation», explique le plongeur et «bunkerologue» Marc Mentel, dont l’association Gramasa a «redécouvert» et fait visiter des bunkers — certains immergés — autour du Bassin d’Arcachon. Expertise reconnue au point d’avoir été chargée, en 2011-12, d’un inventaire pour l’Observatoire de la côte aquitaine.

L’Office national des Forêts (ONF), gardien du littoral, reconnaît «une autre approche des bunkers, désormais. Avant, on avait une vision surtout sécuritaire: déminage en cas de munitions découvertes ou sécurisation de ferrailles, de morceaux éventrés ou déstabilisés…», explique David Rosebery, chef de projet Littoral à l’ONF.

À présent, on regarde aussi la valeur patrimoniale, «la structure est-elle unique ou intéressante’», et l’environnement. Car ces masses de béton en milieu de sable permettent à certaines espèces de prospérer, tel le lézard ocellé, protégé.

Marqueurs d’érosion

Du coup, dit-il, on évite plutôt de détruire comme jusqu’il y a 15-20 ans. Ce qui d’ailleurs n’est pas une mince affaire: «L’épaisseur des murs était de deux mètres, avec un maillage intérieur, des carrés de 25 cm, d’un fer à béton plus épais que le pouce…», décrit Jean-Paul Lescorce. À Ondres fin 2014, détruire deux blockhaus sur la plage a pris des semaines et coûté plus de 70 000 euros (environ 105 000 $ CAD).

Mais il y a l’océan, l’érosion dunaire. Dans les passes du Bassin d’Arcachon une vingtaine de bunkers sont sous l’eau depuis des lustres. Ailleurs en Gironde, dans les Landes, d’autres disparaissent, réémergent, au gré des marées et des cycles «d’engraissement» de la plage.

«À terme, les bunkers du rivage sont voués à disparaître peu à peu», dit Marc Mentel, conscient que «tout n’est pas valorisable», mais qui rêve d’un classement pour les bunkers les plus préservés ou instructifs. D’ici là, certains trouvent une vocation géologique inédite: «marqueurs d’érosion», car nul mieux que leur masse permet de mesurer le recul du trait de côte, de un à trois mètres par an par endroits.

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