Espionnage à l’ère du numérique

Facile d’espionner en 2016′ Oui, répond un enquêteur privé. Nos cellulaires et nos activités sur internet laissent beaucoup de traces et on s’intéresse peu aux enjeux de cybersécurité.

Le SPVM et la SQ ont pu espionner aisément et sans trop d’effort plusieurs journalistes québécois. Il leur a suffi d’obtenir leurs relevés téléphoniques ou d’intercepter en temps réel des numéros de téléphone, et d’activer la localisation par GPS en ce qui concerne le chroniqueur à La Presse Patrick Lagacé.

Pour comprendre la filature 2.0, Le Journal s’est entretenu avec le détective privé Claude Sarrazin, président de l’Association professionnelle des enquêteurs privés du Québec et président de l’Agence d’enquête Sirco. Il a d’ailleurs récemment présenté au Sénat­­ canadien un état de la menace en matière de cybersécurité.

Est-ce que les Québécois protègent suffisamment leurs renseignements personnels

Non. Ce n’est pas tant une question d’équipement. Les gens disent oui à tout sur internet et font aveuglément confiance à des sites web et des fournisseurs de services. Le premier responsable de la sécurité est la personne elle-même. Et elles se font hameçonner ou se font installer un logiciel malveillant sur leur système informatique. Ce logiciel peut récupérer des images sur ton ordinateur, tes mots de passe, tes numéros de carte de crédit et même prendre le contrôle de ton appareil à distance. C’est en plein essor et plus on avance, plus on va avoir de la difficulté à contrôler.

Faut-il se protéger en utilisant certaines applications pour échanger des messages cryptés

Ça dépend… Vous savez, on peut tout extraire d’un cellulaire. La navigation web, les textos, appels sortants et entrants. Il faut être prudent. Je me suis fait approcher par une compagnie qui n’est pas canadienne, qui m’a dit: Je peux rentrer dans n’importe quel cellulaire’. Mais moi, je n’ai pas le droit de faire ça, alors je ne vais pas aller chercher une preuve qui n’est pas utilisable. Mais par curiosité, je leur ai demandé de pirater mon téléphone­­. Et effectivement, ils m’ont piraté à distance, sans jamais avoir accès à mon cellulaire qui est pourtant d’une marque réputée inviolable. Il avait accès à mes contacts, mes courriels, mes appels entrants, sortants, mes textos. Tout. Ça fait peur.

À titre de détective privé, pouvez-vous aller chercher nos informations sur nos téléphones intelligents ou sur nos ordinateurs

Les enquêteurs privés ont accès à la même information que le public, sauf qu’on a des outils d’analyse pour travailler ces données. On ne peut pas commettre d’actes illégaux. Mais on peut faire certaines choses, car on a un permis d’agent qui nous autorise à faire notre travail. Par exemple, si un patron décidait de suivre son employé pour savoir s’il est vraiment malade, ça peut être du harcèlement criminel, mais pas si c’est un détective qui le fait, parce qu’il a un mandat d’enquête. À la base, il faut aussi un motif raisonnable pour effectuer une enquête.

Et depuis cinq ans, il y a aussi un Bureau de la sécurité privée qui encadre vos pratiques.

Oui. Il y a un code d’éthique et l’Association professionnelle des enquêteurs privés a son code de conduite. La jurisprudence des tribunaux détermine aussi ce qui est acceptable.

Qui sont les clients des enquêteurs membres de votre association

Certains enquêteurs se spécialisent dans les infidélités conjugales. Mais ce sont surtout des entreprises, des institutions gouvernementales. On touche beaucoup aux relations employés-employeurs, par exemple, un employé qui abuse de la CSST, des problèmes de vols dans une entreprise. Il y a des centaines de milliers d’enquêtes qui se font tous les jours dans toutes sortes d’organisations, outre les organisations policières. Il y a des enquêteurs à l’interne au sein de plusieurs organisations. Toutes les grandes sociétés publiques ont un département des enquêtes: Hydro-Québec, Postes Canada, etc.

Pouvez-vous obtenir des mandats pour mettre des téléphones sur écoute ou faire des perquisitions

Pas pour faire une écoute. On va travailler avec des avocats pour obtenir des ordonnances pour avoir des informations que possède une banque ou une compagnie de téléphone, par exemple. Ça peut être une ordonnance qui oblige un individu à se laisser saisir d’un élément de preuve. C’est un juge qui devra autoriser ces ordonnances­­, et c’est donné au compte­­-gouttes.

Vous pouvez donc, vous aussi, obtenir les listes d’appels téléphoniques­­’

Ça dépend de l’ordonnance. Mais oui, on peut.

Et le contenu des messages SMS’

Normalement, ce n’est pas conservé longtemps sur les serveurs des compagnies de téléphonie. Mais théoriquement, ce serait possible de le faire. Personnellement, à date, je n’ai jamais­­ fait de demande pour obtenir­­ ce genre d’information.

Quelles informations les policiers peuvent-ils demander et obtenir de plus que les enquêteurs privés

Ils peuvent avoir un mandat de géolocalisation. Il y a certains cas où des enquêteurs privés ont participé à l’obtention­­ d’une telle ordonnance, mais c’est excessivement rare. Il y a différents niveaux de mandat et le plus élevé est l’enregistrement des conversations. Et ça peut être capté à distance. Les enquêteurs privés ne l’ont jamais fait. Ils n’en ont jamais fait la demande, car ils n’ont pas eu besoin de se rendre jusque-là.

Pouvez-vous installer un GPS sur la voiture d’un individu sur lequel vous enquêtez

Théoriquement, selon la jurispru­dence, tu peux le mettre à partir du moment où le véhicule est la propriété de l’employeur. Mais ça peut dépendre des opinions juridiques… dans certains cas, ça dépend ce qui est fait avec la preuve, si ça a été fait de bonne foi dès le départ. C’est le tribunal­­ qui décide si ça doit être accepté­­.

Utilisez-vous beaucoup les réseaux sociaux

Oui, il y a un intérêt à aller voir sur Facebook, parce qu’il y a des gens qui mettent tout ce qui se passe dans leur vie. L’année dernière, on a réglé notre premier cas de fraude à la CSST uniquement grâce aux preuves recueillies­­ sur Facebook. L’individu était sur la CSST et mettait en ligne des vidéos de lui en train de construire son chalet. C’était public. Alors oui, on va continuer à utiliser Facebook pour un bon bout de temps. Mais il y a eu des cas où l’information recueillie sur Facebook a été jugée irrecevable en cour parce que c’était jugé abusif.

Est-ce que la bêtise des gens vous surprend encore après toutes ces années de métier

Les gens sont faciles à détourner. Leur attention n’est pas super aiguisée. On dirait que les gens ne portent pas attention aux détails. Les gens se questionnent peu et ne se méfient pas assez.

Est-ce que le travail d’enquêteur se fait maintenant surtout derrière un ordinateur

Il y a encore des agences qui se spécialisent uniquement en filature. Mais dans l’ensemble des dossiers maintenant, il y a une portion informatique.

Est-ce que la technologie a faci­lité le travail

Oui et non. Ça a complexifié le travail, c’est certain. Il y a 25 ans, il n’y avait pas d’ingénieur informatique dans les agences d’enquête. Aujourd’hui, ça en prend. La quantité de documents à analyser est parfois phénoménale. Dans un dossier, on a eu 23 millions de documents à analyser. Tu ne fais pas ça à la mitaine.

Quel conseil pouvez-vous donner pour mieux protéger l’information sur nos cellulaires

Si tu veux vraiment avoir des conversations confidentielles, fais-le en personne sans ton téléphone. C’est à ce point-là. Il y a des logiciels qui rendent ton cellulaire hyper sécuritaire, mais tôt ou tard, ça peut être craqué.

Claude Sarrazin a fondé son agence d’enquête il y a 25 ans. Son premier mandat, à 20 ans, a été d’infiltrer une entreprise, qu’il ne peut identifier, afin de découvrir si du trafic de drogue avait cours sur le lieu du travail.

En se faisant passer pour un employé, il a découvert que certains vendaient de la drogue à leurs collègues et utilisaient même les camions de l’entreprise pour distribuer de grandes quantités de stupéfiants.

«Il s’agissait de personnes associées aux motards qui se servaient de l’entreprise comme cover pour distribuer de la marchandise aux quatre coins du Québec et en Ontario, sans même avoir à payer le gaz!» dit-il. Le travail d’infiltration avait duré un an.

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