À vendre, deux navires de guerre neufs

Le contentieux avec Moscou réglé, la France va se mettre en quête d’un ou de nouveaux acquéreurs pour ses deux navires Mistral, que sa marine n’a pas les moyens, ni la volonté, de garder, assurent experts et officiels.

Les deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) construits par la France pour la Russie, et dont la livraison été suspendue sine die en raison de la crise ukrainienne, sont désormais «en pleine propriété de la France», a dit jeudi matin le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian.

Selon l’accord annoncé mercredi par le président François Hollande, la France va intégralement rembourser Moscou pour les sommes engagées (moins de 1,2  milliard d’euros (1,72 milliard $ CAN) selon le ministre), et «il est maintenant souhaitable de les vendre le plus rapidement possible», a-t-il ajouté.

La solution la plus simple aurait été que la marine française, qui en possède déjà trois, tout récents, acquière ces deux unités supplémentaires.

Mais «étant données ses contraintes budgétaires actuelles, il n’est pas du tout dans l’intérêt des armées françaises qu’on n’arrive pas à les vendre» confie à l’AFP un officier supérieur spécialiste des programmes d’armement qui, parce qu’il est en activité, demande à rester anonyme.

«Les garder, ça voudrait dire non seulement les payer mais aussi les faire fonctionner, créer des équipages, les accoster, les entretenir. C’est une question de priorités budgétaires. Donc il faut absolument qu’on les vende», ajoute-t-il.

«C’est dommage, dans l’absolu», estime pour sa part l’amiral Alain Coldefy, ancien Inspecteur général des Armées. «Parce que ce sont des bateaux ultra-modernes, mais bon… La Marine française en a déjà trois, elle ne peut pas en acquérir deux supplémentaires».

«Dé-russifier»

Avant que les vendeurs du constructeur, la DCNS, ne puissent sérieusement se mettre en quête de nouveaux acquéreurs, il va falloir commencer par «dé-russifier» les navires, construits pour répondre précisément aux spécifications de la marine russe: cela signifie démonter des équipements, changer les systèmes de télécommunication, les interfaces homme-machine qui sont en caractères cyrilliques, toute la documentation.

En février, le PDG de la DCNS Hervé Guillou avait estimé que le coût de l’adaptation à un nouveau client pourrait être de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d’euros, selon ses besoins.

«La dé-russification ne devrait pas poser de gros problème», estime Alain Coldefy. «Les Russes vont sans doute faire traîner un peu les choses, tenter de nous voler tout ce qu’ils peuvent, un maximum de technologie, comme d’habitude. Ils disent qu’ils peuvent fabriquer ces bateaux eux-mêmes, mais en fait ils sont très en retard.»

Il faudra ensuite chercher de nouveaux clients. Si le savoir-faire français en la matière est reconnu et si «un certain nombre de pays, ils sont nombreux, ont fait connaître leur intérêt pour ces bateaux», comme l’a assuré M. Le Drian, en fait les pistes sérieuses ne sont pas si nombreuses.

Selon l’IHS Jane’s, la demande mondiale pour ce genre de bateau sera de 26 au cours de la prochaine décennie. Mais seuls cinq à six pays, au premier rang desquels le Canada, l’Inde et le Brésil, ont à la fois les capacités financières, militaires et techniques suffisantes pour acheter et utiliser pleinement de tels navires et ne sont pas déjà équipés, assure une source proche du dossier.

Un coût de 1,44 à 2,87 milliards $

«Il faut chercher des pays qui ont envie d’intervenir dans le monde, de montrer leur pavillon» explique l’amiral Coldefy. «Il faut des pays qui ont les moyens de s’offrir des bateaux aussi sophistiqués, qu’on appelle de premier rang. Il faut aussi qu’ils aient des marins assez bien formés, ce qui n’est pas évident».

Mais il faudra aussi, estime Ben Moores, analyste à IHS Jane’s, «parvenir à surmonter l’opposition des lobbies liés aux constructeurs locaux de navires. Presque tout le monde assemble ses navires de nos jours, c’est une question de fierté nationale: « nous construisons nos bateaux »».

«La France parviendra sans doute à vendre ses Mistral, mais elle devra en réduire sérieusement le prix pour les rendre attractifs. Ça pourrait prendre des années», ajoute-t-il.

Pour l’expert Philippe Migault, spécialiste des questions d’armement au centre de réflexion Iris, «au final, cette histoire va nous coûter un à deux milliards d’euros (environ 1,44 à 2,87 milliards $ CAN). Nous avons ces bateaux sur les bras, qui nous coûtent, à quai, rien qu’en entretien, de un à cinq millions d’euros (environ 1,44 à 7,18 millions $ CAN) par mois. Avouez que ce n’est pas la meilleure position pour entamer une négociation avec des acheteurs potentiels…»

Étiquettes : guerre, navires, neufs, vendre

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *